Maryza

Ça a commencé comme un rêve
Comme un rien
Comme on se gratte un bouton sur la joue
Comme on éternue
Comme on dit bonjour
Sauf qu’il n’a pas dit bonjour
Il t’a giflée
Sans raison
Comme ça
Puis il a dit pardon je ne sais pas ce qui m’a pris je ne recommencerai plus je t’aime
Une semaine plus tard il a recommencé et le jour après il t’a étranglée un peu pour jouer
A chaque fois il disait c’est la dernière
A chaque fois il se mettait à genoux
A chaque fois tu avais mal
A chaque fois tu demandais pourquoi
Ensuite il a trouvé une raison pour laquelle il faisait cela
Il t’a dit que c’était parce que tu étais trop jolie et trop bien pour lui
Tu as eu pitié de lui
Il t’a dit que c’était parce que tu te moquais de lui
Et aussi parce que tu étais trop grosse
Tu avais honte
Tu as fini par le croire Maryza
Il fallait bien que quelqu’un ait raison et il avait la force de son côté
Puisque cela ne pouvait pas être toi qui avait raison il fallait donc que ce soit lui
Tu l’as cru
Comme on croit aux choses pour faire plaisir aux gens quand on les aime
Parce que tu l’aimais
Parce que c’était ton grand amour
Il y avait les garçons aussi
Les deux petits tigres qu’il faisait lutter l’un contre l’autre dans le salon
Tu ne pouvais pas les laisser ni les prendre
Tu ne pouvais pas dire au monde ce qui se passait là qu’il te faisait mal quand vous étiez seul à seul car c’était comme de dire que des fraises poussent en plein hiver
Comme de cracher par terre dans un salon
Qui t’aurait cru
Qui t’aurait cru Maryza ?
Tu pensais que ça ne durerait pas
Tu pensais que ça se tasserait quand il reprendrait le travail
Tu pensais que c’était juste un mauvais moment dans la vie de votre couple
Mais quand il a repris le travail c’était pire
De travailler loin plusieurs jours par semaine
Il est devenu jaloux
Il t’appelait souvent
Il voulait que tu décroche tout de suite
Tu étais au pressing et le patron en avait assez de te voir tout le temps sur ton téléphone
Tu travaillais
Tu as essayé de lui expliquer que tu ne pouvais pas toujours avoir ton téléphone allumé quand tu étais au travail
Il a dit dans ce cas il faut que tu ailles moins souvent travailler
Il faut que tu puisses décrocher tout de suite
Sinon je me sens très mal
Et c’est parce que je t’aime
Tu as résisté un temps puis tu as lâché prise
Tu as demandé à travailler à temps partiel
Ton patron a accepté
Tu as travaillé à temps partiel mais
Savoir que tu étais seule à la maison le rendait fou
Et
Quand il savait que le lendemain tu n’irais pas au travail
Il te frappait au visage
Il disait que cela avait le temps de disparaître avant que tu y retournes
Mais cela ne disparaissait pas
Et tu avais honte
Et tu ne voulais pas aller au travail
Et un jour ton patron t’a renvoyée
Et tu n’as plus eu de travail au pressing

Les garçons ne voyaient pas les coups
Ils étaient petits
Mais ils te voyaient Maryza
Ils te voyaient petit à petit disparaître devenir fine et triste et silencieuse
Ils voyaient les bleus Maryza
Ils aimaient bien se battre l’un contre l’autre
Mais ils ne savait pas qu’il te battait
Tu espérais qu’il ne savaient pas

Jusqu’au jour
Maryza
Où il t’a frappée devant eux
Avec le poing fermé
Plusieurs fois

Alors tu as décidé
qu’il était temps
de partir

Le lendemain
Tu n’as rien emporté
Tu es partie comme on se gratte un bouton sur la joue
Comme on éternue
Comme on dit bonjour
Tu as pris tes deux garçons Mariza
Tu as seulement pris tes deux garçons
Tu es partie
Tu ne savais pas où aller
Tu ne savais pas à qui parler
Tu es allée au pressing

Le patron faisait la gueule
Tu disais rien
C’est les garçons qui ont raconté les coups de poing
Et puis une cliente qui était là a dit Il ne faut pas rester ici Maryza
Venez chez moi
On va trouver une solution

Ensuite tu es partie vivre ailleurs dans une autre ville
La dame vous a emmenés à la police et puis elle vous a conduits là-bas dans sa voiture
Une association t’a aidée
Mais c’était difficile
Au début tu voulais retourner le voir
Tu voulais décrocher quand il appelait
Tu pensais qu’il avait besoin d’aide
Tu pensais que tu étais mauvaise et qu’il était triste à cause de toi

Après tu as compris que tu n’étais pas mauvaise
Tu a compris que dire que tu étais mauvaise c’était comme dire que des fraises poussent en plein hiver
Que tes garçons ne croyaient pas que tu étais mauvaise que personne ne le croyait et que dire que tu étais mauvaise c’était comme cracher par terre au milieu du salon
Les fraises ne poussent pas en plein hiver Maryza
Tu n’es pas mauvaise
Tu n’es ni trop grosse ni trop maigre
Tu n’as rien fait qui mérite que l’on te frappe
Tu n’as rien dit qui mérite que l’on t’étrangle
Tu as fait juste ce qu’il fallait faire
Tu as été courageuse

Après c’était le printemps et tu as retrouvé un travail

Après c’était l’été et les fraises ont poussé au bon moment
Après le monde a tourné un peu plus rond

A présent Maryza le monde tourne mieux qu’avant
Même si parfois tu te dis que tu ne vas pas t'en sortir
Même si parfois tu te dis que tu aurais du partir plus tôt
Tu es partie
Si tu n’étais pas partie il y aurait peut-être une Maryza de moins sur cette terre
Une Maryza de chair et d’espoirs et de rires à venir
Une Maryza de tissus de fer à repasser de sourires
Une Mariza de comptines de chansons de fleurs au balcon

Tu as fait juste
Ce qu’il fallait faire
À propos de l'œuvre...
Lecture : Juliette Allauzen

Ana Ressouche